L’évolution de la vallée del’Escaut du Moyen Age à l’époque contemporaine (XIe-XXIe siècles)

Il s’agit pour Mlle Deudon, doctorante en histoire environnementale à l’université deValenciennes, d’embrasser 1000 ans d’histoire afin de montrer les principales étapes de métamorphose du paysage de la vallée de l’Escaut sur le temps long, ainsi que les processus d’anthropisation et d’artificialisation de l’espace fluvial.


Ces grandes phases de mutations sont révélatrices des étapes essentielles de transformation de la société.La démarche méthodologique qui est interdisciplinaire est précisée. Les thématiques sont assez diversifiées puisqu’elles imposent le travail sur les aménagements, les inondations, les pollutions, l’occupation et la dynamique de l’exploitation des sols, la biodiversité, les usages et les pratiques, les représentations. D’ores et déjà, l’intervenante a listé pour l’histoire de l’Escaut plus de 1000 cotes d’archives à dépouiller et à synthétiser.

L’Escaut, fleuve de plaine de 355 km a le quart de son cours en France. Les gouaches des Albums de Croÿ font découvrir la vallée au début du XVIIe siècle. Une série de cartes permet de traquer les évolutions. Mlle Deudon passe en revue les métiers et les activités aubord de l’eau, moteurs de la transformation des paysages (meunerie, blanchissage, tannage, pêche, activités agro-sylvo-pastorales). Elle illustre de quelques exemples chacune de ces activités et fournit par exemple une liste des moulins construits et développés dès l’époque médiévale avec maintien de ces infrastructures aux temps modernes. A l’époque contemporaine et à l’âge industriel, les dispositifs hydrauliques évoluent. Certains moulins changent de fonctions. De nouveaux moulins sont construits. Au XXe siècle, on assiste à une disparition progressive des moulins, comme le montre, c’est un exemple parmi bien d’autres, la fermeture du moulin Giard au faubourg de Paris. L’oratrice montre l’usage que font les blanchisseurs et les tanneurs des eaux de l’Escaut et les aménagements qui leurs sont associés. Elle signale entre autres les vestiges retrouvés des buses de bois qui étaient installées au faubourg Notre-Dame de Valenciennes et reliée en réseau aux fontaines, bassins, canaux et rivières proches (rivière Balhaut, rivière Sainte-Catherine). Des cuves de tanneurs ont été mises au jour rue de l’Intendance en 1989-1990par le service archéologique municipal.

L’intervenante décrit les divers types de pêche au filet, à l’anguillère, à la nasse, à la ligne pour prendre carpes, brochets et même esturgeons(on pense à l’esturgeon géant pêché en avril 1648 à l’écluse Gros-Jean), ainsi que les viviers et leurs réseau de fossés (abbaye de Fontenelle).Melle Deudon évoque ensuite diverses facettes des activités agro-pastorales qui occupent la vallée : pâturage et engraissage du bétail dans les marais, récolte du foin, mise en culture, ce qui suppose la mise en place de buses, d’abreuvoirs, de canaux d’adduction, de puits, de ponts (cf le réseau des ponceaux dans le marais de l’Epaix). Elle propose, à partir des données extraites des sources, un graphique et une chronologie des inondations dont certaines étaient volontaires et à usage militaire : 1276, 1289,1306, 1365, 1408-1409, 1532(illustrée par Hubert Cailleau), 1709, 1751, 1792-1794, 1825-1830,1880-1882...Notre conférencière rappelle l’existence d’un réseau de canaux intramuros à Valenciennes creusés au Moyen Age et invite à ne pas oublier également l’importance des canaux et des fossés de drainage extra-muros dont l’existence est attestée dès le XIVe siècle, notamment le canal du Noir Mouton creusé à l’extérieur de la ville en 1452 pour détourner une partie des eaux de l’Escaut de Valenciennes vers les marais de l’Épaix, ni les grandes campagnes d’assèchement des XVIIIe et XIXe siècles pour d’une part remédier aux inondations récurrentes des terres et prairies dans la portion comprise entre Valenciennes et Condé et d’autre part, mettre fin aux épidémies de malaria. Les syndicats de dessèchement des marais sont particulièrement actifs au XIXe siècle à Trith, à Valenciennes (marais de Bourlain et del’Épaix), à Bruay et à Condé. Mlle Deudon a recensé 24 principaux canaux de drainage entre Valenciennes et Condé, relié en réseau et qui marquent fortement le paysage de lavallée scaldienne jusqu’à aujourd’hui (canal du Jard, canal de Bernissart, etc.). Elle aborde en suite la grande question de la canalisation de l’Escaut qui s’étend sur plus de trois siècles.Quelques dates jalonnent l’espace chronologique : 1614 : premier projet de canalisation del’Escaut formulé par les Etats du Cambrésis; 1650 : lettre d’octroi accordées par le roi d’Espagne pour creuser un canal; 1769 : arrêt royal pour rendre l’Escaut navigable deValenciennes à Cambrai et de Cambrai à la Picardie; 1782 : arrivée du premier bateau à Cambrai.

Méandres de l'Escaut

Ces travaux qui exigent de gros investissements imposent de redresser des méandres, d’élargir, d’approfondir et de curer le chenal, d’aménager des écluses, des aqueducs, des bras de décharge et des chemins de halage, tout cela pour le rendre apte à recevoir la grande navigation.L’industrialisation de la vallée au XIXe siècle a un grand impact sur l’Escaut : les usines les forges et aciéries, les centrales, les usines à gaz et le chemin de fer bouleversent fortement le paysage (entrepôts, quais, etc.) et prélèvent de grandes quantités d’eau dans le fleuve. Les pollutions fluviales se multiplient. Les effluents industriels s’ajoutent aux rejets artisanaux, aux déversements des latrines et des fosses d’aisance. Le recouvrement des canaux intra-muros s’impose alors progressivement au XIX siècle et au début du XXesiècle. Mlle Deudon conclut en abordant rapidement faute de temps la dernière phase de réhabilitation récente du cours d’eau à des fins récréatives, puisqu’on passe «de l’eau énergie à l’eau patrimoniale et touristique» (cf la «Coulée Verte» le long de l’HôpitalGénéral, l’Ecoport Valescaut, le projet de l’Îlot Folien, etc.).On comprend au terme de cette conférence que depuis dix siècles, la vallée scaldienne a été profondément modifiée, voire bouleversée par l’homme. Le paysage actuel résulte de ces mutations successives, miroir des transformations de l’économie et de la société. Il est 18heures quand s’achève cette vaste fresque.

L’heure est trop avancée, note M. Hadot, pour ouvrir une discussion, mais gageons que la petite cinquantaine d’auditeurs s’étant rendu à l’invitation du Cercle eut le sentiment d’avoir beaucoup appris au cours de l’après-midi.